Quand la petite a su qu’on l’emmenait à Lourdes
Dans l’espoir d’y trouver peut-être, un saint Gabo,
La gosse a dit : Faut-il que vous soyez nigauds !
Moi, je n’en croirais rien même si j’étais gourde.
Jamais nous n’eussions cru qu’une enfant de son âge
Osa se comporter ainsi avec des vieux,
Enfin des demi-vieux mais qui font de leur mieux
Pour sauver des marmots que le démon enrage.
Grimace et pied-de-nez, insulte et bras d’honneur
Le plus souvent doublé d’un doigt plus qu’insolent,
Telle est la panoplie que cette douce enfant
Servait sans hésiter à ceux qui par malheur
Croisaient notre chemin. La plupart en riaient
Mais il en est certains qui se fâchaient très vite
Et qui nous menaçaient sans qu’on les y invite,
De se plaindre en haut lieu. Parfois même ils criaient.
Pourquoi vous le cacher, la sainte Bernadette
Était super fâchée quand nous lui avons dit
Qu’à la Clop on s’assoit sur tous les interdits
Brandis par les curés ou les sœurs en cornette.
Et de nous reprocher la chèvre à Marie-Louise
Et les chansons de BAB qui bouffe du curé
Et Joss qu’elle a reçu mais qu’elle a recalé…
À ce moment j’ai su que j’étais dans la mouise.
Pour tenter de calmer sa fureur indomptable,
Je lui ai rappelé que mon ami Gabo
Se montre généreux même envers les poivrots
– d’ailleurs j’en fais partie – et que c’est charitable.
Mais là, j’ai vraiment cru qu’elle allait m’assommer
Tant le nom de Gabo lui restait dans la gorge.
Elle a même juré – si je mens, qu’on m’égorge –
Car j’ai bien entendu. Je n’étais pas bourré.
Elle a dit que Gabo est un vrai scélérat
Qui ose profaner le nom de sa commune,
Et qu’elle se méfie des gens qui font fortune
En vendant aux enfants de la barbe à papa.
Paraît que Saint Florent a fait un vrai scandale
Lui qui avait déjà plus que mal supporté
Qu’on le marie de force à son voisin Chaillé,
Il crie partout que Pierre est un affreux vandale.
Quand on a évoqué tes savoirs sur les plantes
Et tous les noms latins que tu connais par cœur,
Elle est devenue verte et pétrie de rancœur
Avant de nous servir une horrible gueulante :
Il fut un temps Messieurs, où des actes semblables
Conduisaient à coup sûr, leurs auteurs au bûcher.
La magie a toujours usurpé le sacré.
Ce que fait votre ami est plus que condamnable.
C’était le jubilé de la miséricorde.
Michel m’a dit Daniel, il faut en profiter.
Pour obtenir des trucs, y’a qu’à les demander.
Pourquoi nous en priver si le ciel nous l’accorde ?
Nous avons donc Gabo, prié pour que ton âme
Égarée, tu le sais, sur un chemin sans but,
Retrouve enfin la foi qui fera son salut
Et lui épargnera et l’enfer et les flammes.
Mais nous n’avons rien fait pour ta fichue gamine.
Nous avons préféré penser qu’en grandissant,
Influencée par toi, elle aura très longtemps
Ce ton impertinent mais juste qui t’anime,
Ce talent reconnu de remetteur en cause,
Cet esprit subversif, cette capacité
À soulever les monts, ce culot effronté,
Ce toupet, ce génie… qui nous métamorphose.